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COLLECTIF

LA COMPETITION
DANS L'EDUCATION

Extrait du n° 5 de la revue Les Plumes de l'Aigle (1995).


LES livres de Krishnamurti ont pour thème central le fait que sil veut être libre, l’homme doit d’abord prendre conscience de son conditionnement psychologique “la programmation”, comme il le désignât — qui empêche de voir ce qui est réel. Né en Inde le 11 mai 1895, Jiddu Krishnamurti est décédé le 17 février 1986 dans sa résidence à Ojaï en Californie. En 1912, il se rendit en Angleterre où il reçut une éducation privée. Il commença ensuite à écrire et plusieurs recueils de ses poèmes furent publiés en Angleterre et aux États-Unis. En 1929, il rompit tout lien avec les religions organisées et les idéologies et entreprit des tournées de conférences dans le monde entier.

“La vérité est un pays sans chemin, aucune voie, aucun sentier ny mène” fut un de ses leitmotiv. Cet enseignement révolutionnaire suscite bien des confusions, mais au cours de ces dernières années des hommes de science et des psychologues de renom montrèrent un grand intérêt pour la façon dont Krishnamurti abordait les thèmes du temps, de la pensée et de la mort. Un grand amour pour l’humanité se cachait derrière ses propos sans concession. Il fut un homme libre.

Les extrait ont été tirés des ouvrages De L’Éducation et On éducation, traduction libre de Bénédicte Duval.


IL est évident que la compétition dans l’éducation et le cheminement de l’étudiant dans ce processus sont négatifs. A-t-on compris la signification de ceci? Si on la comprise, quelle est la véritable éducation. Il me semble que le type d’éducation que nous cultivons, qui est de se conformer à la société actuelle, est très destructeur. Dans ces activités faites d’ambitions, il ne surgit que frustrations. Ce que nous avons considéré jusqu’à présent, à l’Est comme à l’Ouest, comme un procédé de développement, ce que nous appelons la culture, n’est qu’une invitation à un inévitable désespoir. La perception de cette évidence est essentielle, et m’amène à demander: éduquez-vous l’élève à se conformer, à s’adapter au système ou l’éduquez-vous à une compréhension globale des choses? En même temps l’aidez-vous à lire et à écrire? Si vous lui enseignez la lecture et l’écriture dans le système actuel, cause de frustrations, alors l’épanouissement de son esprit deviendra difficile. Donc, la question fondamentale est: en abandonnant l’éducation axée sur la compétition, l’esprit peut-il être éduqué dans le sens ordinairement accepté de ce mot? L’éducation ne consiste-t-elle pas à nous éloigner de cette structure sociale frustrante et, en même temps, à enseigner à l’élève les mathématiques, la physique, etc.?

Quelle est donc la fonction de l’éducation, existe-t-il une méthode particulière d’enseignement? Enseignez-vous à l’élève une technique afin qu’il devienne efficace et qu’à travers cette efficacité il développe son ambition? En lui enseignant une technique qui lui permettra de trouver un travail, vous lui transmettrez aussi les notions de succès et d’amertume. Il veut la réussite et être en même temps un homme de paix. Toute sa vie est une contradiction. A ce moment-là, une question apparaît: Pouvez-vous aider l’élève à ne point tomber dans le conflit? Il glissera vers la voie de la contradiction si vous ne l’aidez pas à aimer son travail.


Openquote

Il s’agit d’être
tout a fait conscient
de ce que nous
voulons, conscient de
ce qu’un être humain,
un être global,
devrait être.


Si l’élève aime la géométrie, l’aime en tant que fin en elle-même, il sera si complètement pris par elle qu’il n’aura plus d’ambition. Il aime vraiment la géométrie et c’est une source de joie énorme: il s’épanouit donc en elle. Comment allez-vous aider l’élève à aimer, de cette façon, quelque chose qu’il n’a pas encore découvert par lui-même?

Il s’agit d’être tout à fait conscient de ce que nous voulons, conscient de ce qu’un être humain, un être global, devrait être. Si nous nous concentrons sur les examens, sur la formation technique, sur les moyens de développer l’intelligence de l’enfant, sur son habileté à acquérir des connaissances, alors que nous négligeons l’autre aspect, l’enfant deviendra un individu uni-dimensionnel. Lorsque nous parlons d’être humain total, nous ne pensons pas uniquement à l’être capable de compréhension intérieure, capable de s’explorer, de s’examiner et de se dépasser, mais aussi à l’être agissant avec bonté et bienveillance. Les deux choses vont de pair. La véritable question en éducation est de faire en sorte que l’enfant, en quittant l’école, soit à même de faire face harmonieusement à la vie sous tous ses aspects.

Nous devons commencer par une base qui permette à l’homme de cultiver non seulement l’aspect technique, mais aussi de découvrir les couches profondes de l’esprit humain. En d’autres termes, si vous vous efforcez d’aider l’élève à devenir un excellent technicien et négligez l’autre aspect, comme on le fait généralement, qu’arrivera-t-il à cet être humain? Il ne sera pas seulement un parfait danseur ou un parfait mathématicien. Il sera quelque chose de plus. Il sera jaloux, mécontent, frustré, angoissé, ambitieux. Vous créerez ainsi une société dans laquelle il y aura toujours du désordre parce que vous aurez favorisé la technique et l’efficacité et aurez négligé les autres aspects. Même si vous parvenez à faire de cet élève un excellent technicien, il y aura toujours une contradiction dans ses relations sociales.

La technologie ne peut donc pas produire une société parfaite. Elle peut donner naissance à une excellente société qui n’est pas nécessairement une société juste; une société juste implique la notion d’ordre. L’ordre ne veut pas dire que les trains arrivent à l’heure et que le courrier est livré régulièrement. C’est quelque chose d’autre. Ordre signifie ordre en soi-même. Un tel ordre amènera inévitablement une société juste. Où faut-il donc commencer?

Si j’accentue la technique aux dépens de la vie intérieure, je crée un problème. Aussi, pour trouver une solution, je dois créer un mouvement qui intégrera les deux. Jusqu’à ce jour, nous les avons partagés et avons négligé l’un en faveur de l’autre. Ce que nous essayons de faire maintenant, c’est d’intégrer les deux dans un même processus. Une éducation appropriée permet à l’élève de faire cette intégration.

Pourquoi avons-nous séparé le domaine technique de l’autre domaine? Nous avons pensé: Si nous pouvions créer un monde technologique parfait, nous aurions de la nourriture, des vêtements et un abri pour chacun; aussi, occupons-nous de technique. Il y a également ceux qui s’occupent uniquement de la vie intérieure; ceux-là deviennent de plus en plus isolés, de plus en plus centrés sur eux-mêmes, poursuivant leurs propres croyances, leurs dogmes et leurs visions.

Ne pourrions-nous pas trouver un centre, un mouvement, une approche qui ne créent pas la division? Nous pourrions ainsi agir avec sagacité sur les deux sphères de la vie.

Extrait du livre:  
On education, chapitre On right education.
Discussion entre Krishnamurti et des enseignants en Inde.  

AUTORITÉ? POUVOIR? SAVOIR? COOPÉRATION?

Pour réaliser la paix, il nous faut employer des moyens pacifiques. Si les moyens sont violents, comment la fin ne le serait-elle pas? Si la fin est liberté, le début doit être libre, car la fin et le commencement sont un. Il ne peut y avoir de connaissance de soi et d’intelligence que lorsqu’il y a liberté dès le premier pas. Et la liberté est niée par l’acceptation de l’autorité.

Nous rendons un culte à l’autorité sous ses différentes formes: connaissance, succès, pouvoir etc. Nous imposons notre autorité aux jeunes, et en même temps, redoutons celles qui nous dominent. Pour l’homme qui n’a pas une vision intérieure, le pouvoir extérieur et sa propre situation assument une très grande importance. Dès lors, l’individu s’assujettit de plus en plus à l’autorité et à la contrainte, et devient l’instrument de quelqu’un.

Nous pouvons voir ce processus partout autour de nous. Dans les moments de crise, les nations démocratiques se comportent comme les régimes totalitaires, oubliant leur démocratie et imposant par la force une conformité à leurs ressortissants.

Si nous pouvions comprendre la contrainte qui se cache derrière notre désir de dominer ou d’être dominés, peut-être serions-nous libérés des effets paralysants de l’autorité. Nous avons le désir immodéré de posséder une certitude, d’avoir raison, d’atteindre le succès, de savoir. Et ce désir d’une sécurité, d’une permanence, construit en nous-mêmes l’autorité de notre propre expérience, cependant qu’à l’extérieur il crée l’autorité de la société, de la famille, de la religion, etc. Mais ignorer simplement l’autorité et se débarrasser de ses symboles extérieures n’a que très peu de sens.

Extrait du livre:  
De l’éducation, chapitre Intellect, autorité et intelligence

DE LA COMPÉTITION

Ce matin, nous pourrions discuter d’un sujet que doit étudier, à mon avis, non seulement l’enseignant professionnel, mais l’être humain, car ce dont nous allons parler a une très grande portée dans la vie.

L’ensemble de la civilisation, en Inde comme dans le reste du monde, est engagé dans la compétition, la recherche du succès et de la réussite. L’ambitieux, homme agressif qui veut réussir, combiner, tirer les ficelles et parvenir ainsi au haut du panier, semble être respecté. La concurrence est permanente non seulement dans une classe, mais dans la vie de tous les jours: dans l’attitude de l’employé qui estime qu’il doit devenir directeur, du directeur qui doit devenir administrateur, l’administrateur président du conseil d’administration, et ainsi de suite. C’est le schéma classique de l’existence dans la civilisation moderne. Vous voyez partout que l’homme est à la recherche du succès et que c’est cet homme qui est respecté, politiquement du moins. La même attitude existe à l’école. Vous dites à l’élève qu’il n’est pas aussi bon, aussi intelligent qu’un autre. Vous forcez l’enfant, l’aiguillonnez, l’encouragez à lutter, à réussir, à arriver à un certain niveau intellectuel. Vous vénérez des marques de prestige.

Vous avez donc une attitude innée qui est essentiellement compétitive et agressive, dans la vie économique et sociale, mais aussi dans la vie religieuse. Il y a une lutte éternelle pour grimper, se rassurer, se comparer à tous les niveaux de notre être. Remettez-vous en question cette structure de supériorité et d’infériorité ou bien l’acceptez-vous comme état inévitable et continuez-vous ainsi? Naturel non pas dans un sens premier, mais est-ce cela une vie vraiment cultivée? Élèveriez-vous vos enfants de cette manière? Pensez-vous que c’est la bonne façon de vivre? Je sais que c’est le schéma accepté, mais est-ce le bon chemin? Tout d’abord, quel est l’effet de cette compétition, de cette comparaison sur l’esprit? Pensez-vous que vous apprenez au travers de la compétition? Étudions cela.

Vous savez que c’est le schéma établi à tous les niveaux de notre être, à toutes les phases de notre existence de comparer, d’avoir des objectifs, de les réaliser. C’est toute la structure de l’existence humaine.

Quel effet a cette compétition sur l’esprit toujours en train de comparer, de viser le succès?

UN ENSEIGNANT. — il s’épuise.

KRISHNAMURTI. — Vous êtes encore en train d’observer les effets, les résultats, mais vous n’observez pas l’esprit lui-même. Vous ne regardez pas la nature de l’esprit qui fait cela, l’esprit qui est en mouvement, qui est en état de compétition. Veuillez examiner l’esprit lui-même.

UN ENSEIGNANT. — Si l’esprit a l’intention de mesurer le succès à travers ses réussites, il y aura frustration s’il ne réussit pas.

KRISHNAMURTI. Vous êtes encore aux résultats. Je veux moccuper de l’esprit. Les analogies sont peut-être fatigantes. La graine d’un chêne ne pourra jamais donner un sapin. Vous dites: « je ne sais pas quelle graine je suis, mais je veux devenir un sapin ou un frêne ou un chêne ». Nous ne savons pas quelle est la graine ou l’état de l’esprit lui-même, mais nous nous préoccupons de ce qu’il devrait être.

Essayons de sentir la chose par expérience plutôt que de lexprimer verbalement. Nous luttons, recherchons le succès parce que nous avons l’impression que, si nous ne jouons pas le jeu de la compétition, nous allons piétiner. C’est simplement une réponse spéculative, mais ce n’est pas un fait réel. Vous ne savez pas ce qui arriverait. Lorsque vous voyez ce que vous êtes, peu importe ce que c’est, c’est alors que vous commencez à apprendre. L’eau est de l’eau en toute circonstance, que ce soit dans un fleuve ou dans un verre. Actuellement, nous manquons de bases pour apprendre. Ce que nous faisons consiste simplement à accumuler. Le processus additif est ce que nous appelons « apprendre . Ce n’est pas apprendre.


Openquote

Ce que nous
faisons consiste
simplement à
accumuler. Le
processus additif
est ce que nous
appelons
“apprendre”.
Ce n’est pas
apprendre.


C’est seulement l’esprit qui se trouve dans un état dans lequel il ne compare plus lorsqu’il a compris l’absurdité de la comparaison. C’est alors qu’il peut trouver un fondement sur lequel il peut commencer à apprendre dans le vrai sens du mot.

S’il existe un tel fondement dans lequel il n’y a pas de flottement, de convoitise, c’est une base solide sur laquelle vous pouvez construire. Cette construction est la structure d’apprentissage et, à partir de cet apprentissage, il y a action et jamais conformité, donc jamais de sentiment ni de crainte ni de frustration.

Pouvez-vous aider lélève de cette manière? Pour que l’élève apprenne, vous devez faire totalement la différence entre apprendre et accumuler. Alors vous créez un véritable être humain. Non pas une machine. Si vous ne voyez pas cela, comment allez-vous aider l’élève? Pouvez-vous balayer d’un seul coup toute compétition, autrement dit pouvez-vous faire table rase de la prétendue « structure de la société ».

Vous êtes des enseignants: une nouvelle génération vient à vous. Voulez-vous continuer de la même manière? Si vous sentez que cette société dans laquelle nous avons grandi est une chose pourrie, comment aiderez-vous l’élève à créer un nouvel état d’esprit où ma monstruosité de la compétition n’aura aucune part? Quelle étape allez-vous suivre, jour après jour, pour veiller à ce que l’enfant ne soit pas noyé, avalé par la société? Qu’allez-vous faire, pas à pas, pour l’aider? [...]

Parlez à l’enfant, non pas une fois par semaine, mais parlez-lui de cela tout le temps parce qu’il est conditionné par la compétition. Comment allez-vous l’aider à ne pas être saisi dans le cercle vicieux de la compétition? [...]

Il vous faut le débarrasser de tout son conditionnement et en êtes-vous capable? N’est-ce pas votre fonction en tant qu’enseignant de la faire? C’est votre responsabilité. Vous devez voir cela, voir que c’est vrai. Et vous devez le ressentir de façon à le lui transmettre. Mais l’enfant peut ne pas ressentir l’urgence de la chose. Comment lui enseignez-vous ou l’aiderez-vous à apprendre. Comment allez-vous communier avec l’enfant pour qu’il apprenne sans esprit de compétition?

UN ENSEIGNANT. — Je ne suis pas capable de me sentir à la place de l’enfant si ce sentiment n’est pas en moi-même et, s’il n’y est pas!??, j’ai déjà le sentiment d’avoir détruit l’enfant.

KRISHNAMURTI. — Je vais vous dire. Chaque cas porte sa propre leçon. Vous ne le sentez pas parce que vous-même êtes en compétition. N’êtes-vous pas en train de lutter pour l’argent, la situation, le prestige? Tant que vous ne sentez pas profondément tout cela, qu’allez-vous faire? Vous ne pouvez pas attendre d’avoir tout compris. Alors qu’allez-vous faire? Ne donnez pas de notes à l’élève, mais tenez un registre pour vous-même afin de voir comment il se comporte, comment il apprend, et le stade de ses connaissances, et ainsi de suite. Mais ne l’aiguillonnez pas et ne l’aidez pas à entrer en compétition. [...]

Quand je dis: Quallez-vous faire? », je veux dire non seulement en termes daction, mais aussi en termes de sentiment. Le sentiment et l’action ne sont pas deux choses différentes. Je vois très clairement que l’esprit de compétition est destructeur, non seulement dans la salle de classe, mais dans toute la vie. Voici un jeune enfant. Je veux l’aider à comprendre. Comment vais-je faire? Je peux lui parler et lui dire: Regarde ce qui se passe dans la vie. C’est la misère et le conflit ». Parlez-lui de façon à ne pas créer de condamnation ni de réaction. Regardez le tableau. Voyez-le très clairement, comme vous verriez Londres ou Bombay sur la carte. Aidez l’élève à voir très distinctement, c’est le premier travail. Faites-lui sentir l’urgence du sentiment. N’essayez pas de convaincre, de l’influencer, ne lui parlez pas en terme de condamnation, d’accord, de persuasion. Montrez-lui le fait. Établissez le fait. Vous traitez alors avec lui de façon tout à fait concrète, scientifique, non romantique, sentimentale ou émotionnelle. Vous avez établi entre lui et vous une vraie relation. Vous traitez de faits et vous avez établi entre vous une relation de compréhension mutuelle de l’acte corrupteur de la compétition. Alors ensemble vous vous demanderez: Qu’allons-nous faire pratiquement dans l’action? »

Extrait du livre:  
On education,  
entretien avec des enseignants en Inde.  

 



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