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SOMMAIRE

L'esprit

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C'EST LE CERVEAU QUI PRODUIT L'ESPRIT

QU'EST-CE que l'esprit ? Quand je pose cette question, il ne faut pas s'attendre à ce que j'y réponde. Regardez votre esprit, observez le fonctionnement de votre pensée. Ce que je décris n'a qu'une simple valeur indicative; ce n'est pas la réalité. La réalité, c'est à vous d'en faire l'expérience. Le mot, la description, le symbole, n'est pas la chose réelle. Le mot porte n'est évidemment pas la porte. Le mot amour n'est pas le sentiment, l'extraordinaire qualité de sentiment que ce mot désigne. Ne confondons donc pas le mot, le nom, le symbole, avec le fait. Si vous ne faites que rester au niveau verbal, et discuter de la nature de l'esprit, vous êtes perdu, parce que jamais vous ne percevrez la qualité de cette chose étonnante qu'on appelle l'esprit.

Qu'est-ce donc que l'esprit ? L'esprit est, évidemment, l'ensemble de nos facultés perceptives ou de notre conscience; c'est le processus total de notre existence, le processus global de notre pensée. L'esprit est le fruit du cerveau. Le cerveau engendre l'esprit. L'esprit est l'enfant du cerveau. Sans le cerveau, point d'esprit, mais l'esprit est pourtant distinct du cerveau. Si le cerveau est limité ou endommagé, l'esprit lui aussi sera endommagé. Le cerveau, qui enregistre toutes les sensations, toutes les réactions de plaisir ou de douleur, le cerveau avec tous ses tissus, tous ses réflexes, crée ce que nous appelons l'esprit, bien que l'esprit soit cependant indépendant du cerveau.

Vous n'êtes pas obligés d'admettre tout cela. Vous pouvez le passer au crible de l'expérience, et tirer vos propres conclusions.

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L'ESPRIT RETENU PAR SON ANCRE

NOUS poursuivons, telles des machines, notre harassante routine quotidienne. Avec quel empressement l'esprit se plie à un schéma de vie, et avec quelle ténacité il s'y accroche ! L'esprit est rivé en place par l'idée — comme par un clou — et c'est autour de l'idée qu'il organise son existence et fonde son être. L'esprit n'est jamais libre, souple, car il est toujours retenu par son ancre; il évolue dans l'enceinte, tantôt large, tantôt étroite, de son propre centre. Il n'ose pas s'aventurer loin de ce centre; et, lorsqu'il le fait, il est éperdu de peur. Pas la peur de l'inconnu, mais celle de perdre ce qui est connu. L'inconnu ne suscite pas la peur, alors qu'être dépendant du connu la provoque. La peur est toujours liée au désir, désir du plus ou du moins. L'esprit, qui tisse sans cesse sa toile de schémas, est le géniteur du temps; et le temps apporte avec lui la peur, l'espoir, et la mort.

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L'ESPRIT EST LE RÉSULTAT DU TEMPS

L'ESPRIT est constamment incité à se conformer à certains schémas de pensée. Autrefois, seules les religions constituées cherchaient à s'assurer la maîtrise des esprits, mais de nos jours les gouvernements ont largement pris le relais. Ils veulent modeler et contrôler les esprits. En apparence, l'esprit peut résister à leur contrôle… En surface, vous avez votre mot à dire dans cette affaire, mais sous la surface, dans les profondeurs de l'inconscient, il y a tout le poids du temps, de la tradition qui vous entraîne dans des directions données. Au niveau conscient, l'esprit est capable, dans certaines limites, de se contrôler et de se guider par lui-même, mais dans l'inconscient, vos ambitions, vos questions non résolues, vos pulsions, vos superstitions, vos craintes sont là, palpitantes, pressantes, aux aguets…

Tout ce champ de l'esprit est le résultat du temps; l'esprit est le résultat des conflits et des accommodements, de toute une succession de consentements donnés sans pleine compréhension. Donc, nous vivons en état de contradiction; notre vie est un processus de lutte incessante. Nous sommes malheureux, et nous aspirons au bonheur. Bien que violents, nous souscrivons à un idéal de non-violence. Et ainsi le conflit se poursuit — notre esprit est un champ de bataille. Nous avons soif de sécurité, en sachant, tout au fond de nous, qu'il n'en existe aucune. À vrai dire, nous refusons d'être confrontés au fait que la sécurité n'existe pas; nous sommes donc toujours à la poursuite de la sécurité, avec pour résultat la peur que suscite son absence.

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LA PLUS FORMIDABLE DES RÉVOLUTIONS, C'EST LA VIE

L'ESPRIT est maintenu dans un modèle. Son existence même est le cadre à l'intérieur duquel il fonctionne et se meut. Le modèle fait référence au passé ou au futur, c'est l'espoir et le désespoir, la confusion et l'utopie, c'est ce qui a été et ce qui devrait être. Nous connaissons tous parfaitement bien ces questions. Vous dites vouloir briser l'ancien schéma et le remplacer par un « nouveau », qui n'est autre qu'une version modifiée de l'ancien… Vous voulez édifier un monde nouveau. C'est impossible. Vous pouvez vous mentir à vous-même et tromper les autres, mais tant que l'ancien modèle ne sera pas totalement détruit, il ne pourra y avoir de transformation. Et même si vous pouvez trouver l'idée séduisante, ce n'est pas vous qui représentez l'espoir du monde. Briser les modèles, les anciens comme les soi-disant nouveaux, est de la plus extrême importance si l'on veut mettre de l'ordre dans ce chaos. C'est pourquoi il est tellement important de comprendre le mécanisme de l'esprit…

Est-il possible que l'esprit n'ait pas de modèle, qu'il soit libéré de ce mouvement pendulaire du désir entre passé et futur ? C'est effectivement possible. C'est l'action qui consiste à vivre dans le présent. Vivre, c'est être sans espoir, faire fi du lendemain; ce qu'il ne faut pas confondre avec le désespoir ou l'indifférence. Mais nous ne vivons pas, nous sommes toujours à la poursuite de la mort, du passé ou du futur. La plus formidable des révolutions, c'est la vie. La vie n'a pas de modèles, mais la mort en a : le passé ou le futur, ce qui a été, ou l'utopie. Vous vivez pour l'utopie, et ce faisant, vous sollicitez la mort, et non la vie.

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LA RÉVOLUTION INTÉRIEURE

LA vérité ne se rencontre que d'instant en instant, ce n'est pas un phénomène continu, mais l'esprit qui cherche à la découvrir, étant lui-même le produit du temps, ne peut fonctionner que dans le champ du temps; il est donc incapable de trouver la vérité.

Si je veux connaître l'esprit, l'esprit doit se connaître lui-même, car il n'existe pas de « je » indépendant de l'esprit. Il n'y a pas de qualités qui soient indépendantes de l'esprit, de même que les qualités du diamant sont indissociables du diamant lui-même. Pour comprendre l'esprit, vous ne pouvez pas l'interpréter en fonction des idées d'un autre que vous, mais vous devez observer comment fonctionne votre propre esprit dans sa globalité. Lorsque vous en connaissez tout le mécanisme — son mode de raisonnement, ses désirs, ses motivations, ses ambitions, ses centres d'intérêt, son envie, son avidité, sa peur — alors l'esprit peut aller au-delà de lui-même, et c'est lorsqu'il se transcende que l'on découvre quelque chose de totalement nouveau. Cette qualité de nouveauté suscite en l'être une formidable passion, un formidable enthousiasme qui provoque une révolution intérieure profonde : et seule cette révolution intérieure peut transformer le monde — ce qu'aucun système politique ou économique n'est capable de faire.

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LA CONSCIENCE EST UNE

IL n'y a en fait qu'un seul état, et non deux, le conscient et l'inconscient. Il n'y a qu'un état d'être, lequel est conscience, bien que certains veuillent y voir les deux formes du conscient et de l'inconscient. Mais cette conscience est toujours du passé, jamais du présent. L'on n'est conscient que de ce qui est passé. Vous n'êtes conscients de ce que j'essaie de dire que la seconde d'après, n'est-ce pas ? Vous le comprenez un moment plus tard. Vous n'êtes jamais conscients du « maintenant ». Vous ne le percevez pas. Observez vos coeurs et vos esprits, et vous verrez que la conscience fonctionne entre le passé et le futur et que le présent n'est que le passage du passé au futur…

Si vous observez le fonctionnement de votre esprit, vous verrez que le mouvement, tant vers le passé que vers le futur, est un processus dans lequel le présent n'est pas. Tantôt le passé est un chemin d'évasion hors du présent (lequel est probablement désagréable), tantôt le futur est un espoir situé en dehors du présent. L'esprit est toujours absorbé dans le passé ou dans le futur et rejette le présent… Soit il condamne et rejette le fait, soit il l'accepte et s'identifie avec lui. Un tel esprit est évidemment incapable de voir un fait en tant que fait. Tel est notre état de conscience, conditionné par le passé, et notre pensée est une réponse conditionnée à la provocation d'un fait; plus vous réagissez selon le conditionnement d'une croyance, d'un passé, plus vous renforcez le passé.

Ce renforcement du passé n'est évidemment qu'un prolongement du passé lui-même, qu'il appelle futur. L'état de notre esprit, de notre conscience, est celui d'un pendule qui va et vient entre le passé et le futur.

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AU-DELÀ DU TEMPS

IL va de soi que l'esprit qui est conditionné ne peut pas découvrir ce qui est au-delà du temps. Autrement dit, l'esprit tel que nous le connaissons est conditionné par le passé. Le passé, se prolongeant à travers le présent jusqu'au futur, conditionne l'esprit; et cet esprit conditionné, en proie au conflit, au malheur, à la peur, à l'incertitude, est à la recherche de quelque chose qui dépasse les frontières du temps. Voilà ce que nous faisons tous de différentes manières, n'est-ce pas ? Mais comment un esprit qui est le produit du temps peut-il jamais trouver ce qui est hors du temps ?

La demeure de vos croyances, vos biens, vos attachements et vos modes de pensée rassurants est sans cesse violée, fracturée, mais l'esprit persiste à vouloir la sécurité; il y a donc conflit entre ce que vous désirez et ce que l'engrenage de l'existence exige de vous. C'est ce qui nous arrive à tous…

J'ignore si ce problème présente le moindre intérêt pour vous. L'existence quotidienne, avec toutes ses difficultés, semble suffire à la plupart d'entre nous. Notre unique préoccupation est de trouver une réponse immédiate à nos problèmes divers, mais tôt ou tard les réponses immédiates s'avèrent peu satisfaisantes, parce que, quel que soit le problème, il n'y a pas de réponse, si ce n'est dans le problème lui-même. Et si je sais comprendre le problème, si j'en saisis les moindres nuances, alors il n'existe plus.

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L'ESPRIT QUI A DES PROBLÈMES MANQUE DE SÉRIEUX

L'UNE des principales questions que l'on doit se poser est de savoir jusqu'à quel point, jusqu'à quel niveau de profondeur l'esprit est capable de voir clair en lui-même. Telle est la qualité de sérieux, laquelle suppose que nous ayons conscience de tout l'ensemble des structures psychologiques de notre être, avec ses exigences, ses pulsions, son désir d'accomplissement, et ses frustrations, ses misères, ses tensions et ses angoisses, ses luttes, ses souffrances et les innombrables problèmes qui sont les siens. Un esprit perpétuellement assailli de problèmes n'est en aucun cas un esprit sérieux, mais l'esprit qui comprend chacun des problèmes au fur et à mesure de leur apparition, et sait les dissiper immédiatement, afin qu'ils ne se reportent pas sur le jour suivant — cet esprit-là, lui, est sérieux…

Par quoi sommes-nous généralement intéressés ? Si nous avons de l'argent, nous nous tournons vers les choses dites spirituelles, ou les divertissements intellectuels, ou nous avons des discussions sur l'art, ou nous nous mettons à la peinture, afin de nous exprimer. Si nous n'avons pas d'argent, nous passons le plus clair de notre temps à en gagner, et, jour après jour, nous sommes happés par cette misère, cette routine sans fin et l'ennui qu'elle distille. Nous sommes pratiquement tous rodés à fonctionner de façon mécanique dans un travail quelconque, année après année. Nous avons des responsabilités, une femme et des enfants dont il faut assurer la charge, et pris dans l'engrenage de ce monde fou, nous essayons d'être sérieux, nous essayons de suivre une voie religieuse, nous allons à l'église, nous rejoignons les rangs de telle organisation, religieuse ou autre — ou bien nous entendons parler de réunions comme celle-ci, et, puisque nous sommes en vacances, nous venons y faire un tour. Mais rien de tout cela ne déclenchera cette formidable mutation de l'esprit.

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L'ESPRIT RELIGIEUX INCLUT L'ESPRIT SCIENTIFIQUE

L'ESPRIT religieux est celui qui s'est affranchi de toute autorité. Et il est extrêmement difficile de ne dépendre d'aucune autorité — ni celle imposée par autrui, ni celle de l'expérience que nous avons engrangée et qui est liée au passé, à la tradition. L'esprit religieux n'a pas de croyances, pas de dogmes; il s'attache à un fait, puis à un autre : l'esprit religieux est donc aussi un esprit scientifique. Mais en revanche, l'esprit scientifique n'est pas un esprit religieux. L'esprit religieux inclut l'esprit scientifique, mais il ne suffit pas que l'esprit soit rodé aux connaissances scientifiques pour qu'il soit religieux pour autant.

L'esprit religieux s'intéresse à l'existence humaine dans sa totalité, à son fonctionnement global, et non pas à une fonction particulière. Le cerveau, lui, s'intéresse à une fonction particulière : il se spécialise. Il fonctionne dans le cadre d'une spécialité, comme chez le scientifique, le médecin, le musicien, l'artiste, l'écrivain. Ce sont ces techniques spécialisées, dont le champ est très restreint, qui sont responsables des divisions non seulement intérieures, mais extérieures. C'est sans doute le scientifique qui, au même titre que le médecin, est actuellement considéré par la société comme le plus éminent et le plus indispensable de ses membres. La fonction prend donc une importance prédominante, car le statut social, c'est-à-dire le prestige, en dépend. Là où il y a spécialisation, il y a donc fatalement contradiction, et aussi un rétrécissement de l'esprit; ainsi fonctionne le cerveau.


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