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SOMMAIRE

L'autorité

Janvier

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L'AUTORITÉ EMPÊCHE D'APPRENDRE

NOUS apprenons le plus souvent grâce à l'étude, aux livres, à l'expérience ou à l'enseignement qui nous est dispensé. Ce sont les voies usuelles par lesquelles on apprend. Ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire, de penser ou de ne pas penser, comment il faut percevoir, réagir — nous nous en remettons à la mémoire pour stocker toutes ces notions. Grâce à l'expérience, à l'étude, à l'analyse, à l'investigation, à l'introspection, nous stockons des connaissances sous forme de mémoire, puis cette mémoire intervient en réponse à d'autres défis, d'autres exigences, à partir desquels on apprend encore et toujours… Ce qui est appris est confié à la mémoire en tant que savoir, et ce savoir fonctionne chaque fois qu'un défi se présente, chaque fois qu'il nous faut agir.

En vérité, je crois qu'il existe une tout autre manière d'apprendre, et je vais en parler un peu; mais pour comprendre, et pour apprendre de cette façon différente, il faut s'affranchir complètement du joug de l'autorité; sinon, vous ne ferez que subir une instruction et répéter ce qu'on vous a dit. C'est pourquoi il est très important de comprendre la nature de l'autorité. L'autorité empêche d'apprendre — si l'on admet qu'apprendre n'est pas l'accumulation d'un savoir devenu mémoire. La mémoire répond toujours en fonction de schémas établis : toute liberté est absente. Celui qui ploie sous le poids du savoir, des directives, de toutes les connaissances acquises, n'est jamais libre. Il peut être fort érudit, pourtant tout ce savoir accumulé l'empêche d'être libre, il est donc incapable d'apprendre vraiment.

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DÉTRUIRE C'EST CRÉER

POUR découvrir le neuf, l'on doit partir tout seul, complètement démuni de tout, surtout de connaissances; car il est très facile, au moyen de connaissances et de croyances, d'avoir des expériences; mais celles-ci, n'étant que le produit de nos projections personnelles, sont absolument irréelles, fausses. Si vous voulez découvrir le neuf, ne vous chargez pas du fardeau du vieux, surtout de connaissances, des connaissances d'un autre; même s'il est très grand. Vos connaissances vous servent de protection, de sécurité : vous voulez être tout à fait sûr de participer aux expériences du Bouddha, du Christ ou de X… Mais l'homme qui ne cesse de s'abriter derrière des connaissances n'est pas un chercheur de vérité…

La découverte de la vérité n'a pas de chemin… Lorsque vous voulez découvrir le neuf, lorsque vous expérimentez dans quelque domaine que ce soit, votre esprit doit être très tranquille; car s'il est encombré, rempli de faits et de connaissances, tout ce bagage est un obstacle au neuf. La difficulté est que, pour la plupart d'entre nous, l'esprit est devenu si important, a acquis une valeur si prédominante, qu'il intervient chaque fois que se présente une chose neuve qui pourrait exister simultanément avec le connu. Ainsi les connaissances et le savoir sont un obstacle pour ceux qui voudraient chercher, pour ceux qui voudraient essayer de comprendre ce qui est intemporel.

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LA VERTU EST ÉTRANGÈRE À TOUTE AUTORITÉ

L'ESPRIT peut-il s'affranchir de toute autorité, c'est-à-dire être libéré de la peur, afin de ne plus être en mesure de s'y soumettre ? Si tel est le cas, cela met fin à l'imitation qui devient mécanique. Car en définitive la vertu, l'éthique ne consistent pas dans la répétition du bien. Toute vertu cesse d'en être une dès quelle devient mécanique. La vertu, de même que l'humilité, ne peut survenir que d'instant en instant. L'humilité ne se cultive pas, et un esprit dénué d'humilité est incapable d'apprendre. Donc, la vertu est étrangère à toute autorité. La morale sociale est au contraire parfaitement immorale, puisqu'elle admet la compétition, la voracité, la corruption : la société encourage donc l'immoralité. La vertu transcende la moralité. Sans vertu, il n'y pas d'ordre; et l'ordre n'obéit ni à une formule ni à un modèle préétablis. L'esprit qui se soumet à une formule préétablie, en s'astreignant à une discipline pour accéder à la vertu, se crée ainsi lui-même ses propres problèmes d'immoralité.

Lorsque l'esprit s'efforce de comprendre ce qu'est la vraie vertu, toute autorité extérieure — exception faite de la loi — que l'esprit objective, par exemple sous la forme de Dieu ou d'une morale, devient destructrice. Nous avons aussi notre propre autorité intérieure — celle de l'expérience, du savoir, à laquelle nous nous efforçons d'obéir. Et il y a cette perpétuelle répétition, cette imitation constante qui nous sont familières. L'autorité psychologique — pas celle de la loi, pas celle des policiers chargés du maintien de l'ordre, mais celle qui est en chacun de nous — finit par détruire la vertu, car la vertu est une chose qui vit, qui bouge. Et, de même que l'humilité — pas plus que l'amour — ne peut se cultiver, de même il est impossible de cultiver la vertu, et il y a en cela une grande beauté. La vertu est tout sauf mécanique, et sans vertu il n'est pas de fondement solide pour une pensée claire et lucide.

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LE VIEIL ESPRIT EST SOUMIS À L'AUTORITÉ

TEL est donc le problème qui se pose : un esprit qui a été ainsi conditionné, façonné par une multitude de sectes, de religions, et par tant de superstitions et de peurs, est-il capable de s'arracher à lui-même et de donner naissance à un esprit neuf ?… Le vieil esprit, c'est essentiellement celui qui est soumis à l'autorité. Je n'emploie pas ici le mot autorité au sens légaliste du terme; j'entends par là l'autorité sous forme de tradition, de savoir, d'expérience; l'autorité en tant que moyen de trouver la sécurité, tant sur le plan extérieur qu'intérieur, car en définitive tout ce que veut l'esprit, c'est se sentir rassuré, à l'abri de toute perturbation. Cette autorité, nous pouvons nous l'imposer nous-mêmes, sous forme d'idées, d'idéaux ou de cette prétendue notion de Dieu, qui n'a aucune réalité pour toute personne vraiment religieuse. L'idée n'est pas un fait réel mais une fiction; certes, on peut y croire, mais ce n'en est pas moins une fiction. Dieu est une fiction; vous pouvez y croire, pourtant c'est toujours une fiction. Mais pour rencontrer Dieu, il faut anéantir la fiction, car le vieil esprit est celui qui craint, qui est ambitieux, qui a peur de mourir mais aussi de vivre, que les relations effraient et qui, toujours, consciemment ou inconsciemment, est en quête de permanence, de sécurité.

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LIBRES DÈS LE DÉBUT

SI nous parvenons à comprendre la force secrète qui sous-tend notre désir de domination ou de soumission, alors peut-être serons-nous libérés des effets mutilateurs de l'autorité. Nous sommes rongés par le désir d'avoir des certitudes, d'avoir raison, d'atteindre le succès, de savoir; et cette soif de certitude, de permanence, assoit peu à peu en nous-mêmes l'autorité de notre propre expérience, cependant qu'à l'extérieur cette même soif engendre l'autorité de la société, de la famille, de la religion, etc. Mais ignorer simplement l'autorité et se débarrasser des symboles extérieurs n'a guère de sens.

Rompre avec une tradition et se conformer à une autre; abandonner un maître et en suivre un autre; tout cela n'est que gestes superficiels. Si nous voulons être conscients de tout le processus de l'autorité; si nous voulons en voir toutes les implications d'ordre intérieur; si nous voulons comprendre et dépasser la soif de certitude — nous devons alors mettre en jeu une perception élargie, une lucidité pénétrante, nous devons alors être libres, pas aux derniers instants, mais dès le début.

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SE LIBÉRER DE L'IGNORANCE ET DE LA SOUFFRANCE

NOUS écoutons avec un espoir mêlé de crainte; c'est d'autrui que nous attendons la lumière, mais nous n'avons pas cette vigilance passive qui permet de comprendre. Si celui qui a atteint la libération semble répondre à nos désirs, nous l'acceptons; sinon, nous poursuivons notre quête, à la recherche de qui les comblera; ce que désirent la plupart d'entre nous, c'est la satisfaction à différents niveaux. L'essentiel n'est pas de savoir reconnaître celui qui a atteint la libération, mais de savoir se comprendre soi-même. Nulle autorité, pas plus ici-bas que dans l'au-delà, ne peut vous apporter la connaissance de ce que vous êtes; sans la connaissance de soi, nul ne peut être libéré ni de l'ignorance ni de la souffrance.

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POURQUOI SOMMES-NOUS SOUMIS ?

POURQUOI acceptons-nous, pourquoi sommes-nous soumis ? nous nous soumettons à l'autorité d'un autre, à l'expérience d'un autre, pour en douter ensuite. Cette quête de l'autorité et ses conséquences — la désillusion — sont un processus douloureux pour la plupart d'entre nous. Nous critiquons, nous blâmons ce que nous acceptions naguère, l'autorité, le chef, le maître, mais nous ne faisons pas l'examen critique de notre propre soif d'une autorité susceptible de diriger notre conduite. Dès que nous comprendrons cette soif, nous saisirons pleinement la signification du doute.

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L'AUTORITÉ CORROMPT LE MAÎTRE ET LE DISCIPLE

LA connaissance de soi est ardue, et comme la plupart d'entre nous préférons la voie de la facilité, de l'illusion, nous créons l'autorité qui façonne notre vie et lui offre un modèle. Cette autorité peut être la société, l'État; elle peut être l'individu, le maître, le sauveur, le gourou. Toute autorité, quelle qu'elle soit, empêche de voir, de penser lucidement; et comme la plupart d'entre nous trouvons la pensée lucide douloureuse, nous nous abandonnons à l'autorité. L'autorité engendre le pouvoir, et le pouvoir devient toujours centralisé, et de ce fait totalement corrupteur : il corrompt non seulement celui qui exerce le pouvoir mais aussi celui qui s'y soumet. L'autorité du savoir et de l'expérience ne peut que pervertir, qu'elle vienne du maître, de son représentant ou du prêtre. C'est votre vie, ce conflit apparemment sans issue, qui est importante, et non le modèle ou le leader. L'autorité du maître et du prêtre vous détourne du problème fondamental, qui est le conflit à l'intérieur de vous-même.

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PUIS-JE ME FIER À MA PROPRE EXPÉRIENCE ?

EN général, l'autorité nous satisfait parce qu'elle nous procure un sentiment de continuité, de certitude, de protection. Mais celui qui veut vraiment comprendre les implications de cette révolution psychologique profonde doit être affranchi de toute autorité. Il ne peut en aucun cas être assujetti à une autorité, qu'elle émane de lui-même ou quelle lui soit imposée du dehors. Mais cela est-il possible ? M'est-il possible de ne pas me fier à l'autorité de ma propre expérience ? Même lorsque j'ai rejeté toutes les expressions extérieures de l'autorité — les livres, les maîtres, les prêtres, les Églises, les croyances —, j'ai toujours le sentiment que je peux au moins me fier à mon propre jugement, à mon expérience personnelle, à ma propre analyse. Mais sont-ils vraiment fiables ? Mon expérience n'est que le résultat du conditionnement auquel j'ai été soumis, et il en va de même pour vous. N'est-ce pas exact ? J'ai pu être élevé dans la tradition musulmane, bouddhiste, ou hindoue; mon expérience va dépendre du milieu culturel, économique, social et religieux dans lequel j'ai vécu; et vous êtes dans une situation identique. Puis-je donc me fier à tout cela ? Y trouver un guide, un espoir, une vision, qui me donnera foi en mon propre jugement, qui lui-même n'est que le résultat d'une accumulation de souvenirs, d'expériences, et un conditionnement dans lequel passé et présent se rejoignent ?… Alors, quand j'en ai fini de me poser toutes ces questions et que je prends conscience du problème, je vois qu'il n'existe qu'un seul état dans lequel la réalité, le neuf, puisse se faire jour — et cela suscite en moi une révolution. Pour que cet état soit, l'esprit doit être totalement vidé de tout passé; il n'y a plus alors ni analyseur, ni expérience, ni jugement, ni autorité d'aucune sorte.


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